Mic Jean-Louis - Analyse de séquence

Alors que la courte scène d’introduction de Mic Jean-Louis semble annoncer un film documentaire, la deuxième séquence installe le doute, puis achève de nous convaincre que nous sommes dans une fiction aux allures de documentaire.

Le hangar

Basculement

Après la séquence du générique dans laquelle Jean-Louis Mic, assis sur son lit, s’est présenté en quelques mots, une courte série de plans le montre quittant sa maison sur sa mobylette et roulant sur les petites routes du Gers. En voix off, il raconte le début de ses journées, consacrées à sa mère dont il doit s’occuper avant d’aller travailler, puis arrive dans une propriété où on le retrouve en compagnie d’un paysan. L’homme lui donne des instructions au sujet de ruches qu’il doit charger dans sa voiture. Au moment où Jean-Louis s’engage dans le hangar pour récupérer une ruche, un basculement s’opère et alors que le spectateur croyait être sur le point de regarder un documentaire, il se rend compte qu’il est progressivement amené sur le terrain de la fiction. Les moyens par lesquels la réalisatrice opère ce basculement sont exclusivement cinématographiques : les mouvements de caméra et le découpage, la lumière et les raccords.

Déplacement

En effet, alors que le film n’était jusqu’à présent construit qu’en plans fixes, essentiellement descriptifs, un mouvement de caméra portée va accompagner le personnage dans son exploration du lieu en semblant le précéder dans l’espace du hangar, provoquant une sourde inquiétude (un peu à la façon des films d’horreur où le mouvement, menaçant, devance à peine les personnages qui déambulent, en général dans un endroit sordide). La sensation de ne plus être dans la simple description d’un événement (même reconstitué), ou dans le portrait d’une personne — à travers l’enregistrement de ses gestes, de son travail, de sa parole — est renforcée par le plan suivant : la caméra accompagne toujours Jean-Louis dans son déplacement, mais sous un autre angle (de profil, en plan plus rapproché). Les deux travellings s’enchaînent, le raccord est juste assez visible pour alerter notre regard, mais il est évident qu’il s’agit de deux plans distincts. Un troisième plan vient s’ajouter aux précédents : il montre Jean-Louis, suivi par un court panoramique, passer devant des camionnettes Citroën garées côte à côte, et les examiner. Trois plans sont donc consacrés à la visite du hangar. L’événement a été mis en scène, construit de A à Z et interprété, le montage est une preuve à charge de la fiction. Ce que la suite de la séquence va nous confirmer.

Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah (plan 10) 

Isolement

Jean-Louis s’est assis pour fumer une cigarette sur un petit bateau plongé dans l’obscurité (une obscurité qui s’est intensifiée au fur et à mesure de la progression du personnage vers les profondeurs du hangar), alors qu’il explique, en voix off, qu’il a toujours rêvé de devenir aviateur. Il est d’abord filmé en plan large, de manière à ce que le bateau figure entièrement dans le champ. À un moment, Jean-Louis se lève pour jeter un coup d’œil dans la cabine qui se trouve à l’avant de l’embarcation. À l’instant où il se rassoit, il est repris en plan plus serré, un raccord dans le mouvement assurant la liaison entre les deux plans. Ce raccord insiste à son tour sur le caractère fictif de cet événement anodin, qui se prolonge par un bref rappel à l’ordre de l’apiculteur que l’on entend tousser, off, sur un plan de Jean-Louis — lui succède un gros plan du vieil homme. Il sort ainsi Jean-Louis de sa pause et de ses pensées, et le ramène à la “réalité” (à défaut du “réel“) : "Vous pouvez prendre une brouette, parce que c’est lourd." Jean-Louis écrase alors sa cigarette sous sa semelle et disparaît du plan en vitesse, abandonnant le bateau à la pénombre . Voilà à quoi menaient ces travellings inattendus, au terme de la déambulation de Jean-Louis dans le hangar : à une petite péripétie, Jean-Louis s’étant détourné de sa tâche initiale pour visiter ce lieu propice à l’isolement et à la confidence.

Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah (plan 12)

Inquiétante étrangeté

Le hangar devient un lieu d’une inquiétante étrangeté, dans sa familiarité même. La lumière, d’abord légèrement féerique, puis la pénombre grandissante en accentuent l’étrangeté. Comme la présence de ces camionnettes, alignées telle une collection de reliques, ou celle du bateau (que fait une épave échouée là ?), qui transforment le hangar en un lieu fantastique, investi par les fantômes d’un passé dont subsistent des traces (in)visibles. Le hangar est la première étape (le château constituant une autre étape, lieu intermédiaire comparé par Jean-Louis à une grotte, anticipant ainsi le repli fœtal sous terre) d’une sorte de voyage intérieur qui va conduire Jean-Louis vers un endroit absolument fantastique celui-là, où l’on peut entendre des sirènes chanter et où l’on voit pousser des fleurs étranges, au terme d’un second basculement, plus radical, qui interviendra après l’accident de mobylette.

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