Mic Jean-Louis - Extrait du scénario

Séquence 6 a / Int jour/ Usine tuilerie.

Mic et le monsieur mettent des ruches dans une vieille 2CV camionnette. Le hangar est bordé de verrières. La lumière est très douce et diffuse, et comme teintée de sépia. Tout dans ce grand hangar est doré, recouvert d’une fine couche d’argile rouge, poussière du temps.

MIC : - Et ces camions, là-bas, ils marchent plus ? Vous feriez moins d’allers-retours qu’avec la 2 chevaux.

LOUIS : - Oh ! Je ne sais pas. Je ne pense pas. Du temps de la tuilerie, ils ont bien servi, mais ça fait un bail qu’ils n’ont pas bougé.

Mic s’enfonce dans le hangar. On y trouve des vieilles voitures figées dans le temps, sous cette poussière rouge : une 4 chevaux décapotée, une frégate, et même un petit bateau. Trois camions Citroën sont alignés, comme prêts pour le départ. Tout est bien rangé. Mic passe la main sur un des capots. Il enlève une couche de poussière. Il souffle sur le pare-brise pour voir à l’intérieur : un nuage rouge s’envole. Il se retourne vers Louis. Celui-ci est en train de charger encore des ruches.

Mic se précipite : Attendez !! J’arrive, ne le faites pas tout seul !

Temps suspendu

La séquence du hangar dans Mic Jean-Louis est en apparence seulement descriptive : il semble ne pas s’y passer grand-chose, et c'est d’ailleurs le cas d’un point de vue strictement narratif. Ici, tout advient en marge de la narration, dans l’agencement du décor, dans l’utilisation de la lumière, dans la chorégraphie du déplacement de Jean-Louis et la manière dont la réalisatrice met en scène ce déplacement. C’est ensuite le montage qui fait événement : on comprend alors que le hangar est une matrice, le point de départ de la fiction. Tout le film fonctionne sur ce principe et avance progressivement, au fil des déplacements de son personnage (déplacements qui, en général, permettent les transitions entre les séquences). Mais la scène du hangar, parce qu’elle se construit sur une temporalité flottante, paraît être l’une des plus longues du film — alors que par exemple, la première scène de dialogue avec Claire, au château, l'est un peu plus. Dans le hangar que visite Jean-Louis, le temps semble s’être arrêté. Tout est recouvert de poussière (une "poussière du temps", indique le scénario du film), comme si les objets entreposés n’avaient pas bougé depuis une éternité. Dans ce lieu appartenant au passé, Jean-Louis décide de faire une pause. Il oublie sa tâche initiale (récupérer une ruche) ainsi que le vieux paysan assis à l’entrée du hangar, et prend place parmi les objets poussiéreux. Comment dilater le temps, voire le figer le temps ? Dans cette scène, en décidant de s’asseoir dans le bateau, c’est Jean-Louis lui-même qui suspend le temps, en interrompt le déroulement, imprimant une nouvelle fois au film ce rythme particulier qui est le sien. On pourra proposer aux élèves d’analyser les moyens par lesquels la réalisatrice construit le rythme de la séquence et parvient à retranscrire la sensation/l’illusion de la durée. On pourra également leur proposer de travailler sur les grands cinéastes du temps suspendu, comme Andreï Tarkovski ou Béla Tarr.

Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah (plan 14) 

De l’écrit à l’image

En comparant l’extrait du scénario et les photogrammes reproduits ci-dessus, on posera aux élèves les questions suivantes : quelles différences note-t-on entre le film tourné et son scénario ? Comment les expliquer ? En quoi les éléments ajoutés ou supprimés au tournage ont-ils modifié le sens du film ? Le film parvient-il à concrétiser toutes les intentions exprimées dans le scénario ? On pourra également travailler sur les différences entre langage écrit et langage filmé, en décrivant les moyens mis en œuvre pour exprimer en images et en sons ce qui s’est d’abord traduit en mots : décors, bruitages, musiques, jeu des comédiens… Enfin, on pourra demander aux élèves de proposer un découpage technique (description des plans à tourner, indiquant notamment les positions de caméra et le cadre) différent de celui choisi par le réalisateur, et pourquoi pas de tourner un remake de la séquence !

Photogramme extrait du film "Mic Jean-Louis" de Kathy Sebbah (plan 15)

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